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    Révélé par Requiem for a Dream de Darren Aronofsky, qu’il retrouvera en 2004 sur The Fountain, James Chinlund a croisé la route de Paul Schrader (Auto Focus) et Spike Lee (La 25ème heure) avant d’être propulsé dans les hautes sphères hollywoodiennes avec Avengers. La Planète des singes : l’affrontement et sa suite l’'amènent à développer un style visuel très singulier aux côtés du réalisateur Matt Reeves, mariant l’intimisme du cinéma indé avec les enjeux spectaculaires d’un blockbuster ; une approche que l’on retrouve dans The Batman.

    Quand avez-vous commencé à discuter du projet avec Matt Reeves ?

    C’était juste à la fin du dernier opus de La Planète des singes. The Batman a donc mûri dans mon esprit pendant près de trois ans. Matt et moi avons une relation très intéressante, et j’ai l’habitude de concevoir le visuel pendant qu’il écrit, ce qui est une manière très excitante et très rare de travailler dans mon métier.

    Tandis que Matt cracke le code de l’histoire, je propose des lieux, des décors, et il les intègre au récit. Ou parfois, il vient m’exposer des problèmes, et j’essaie de trouver où placer ses personnages. Nous avons collaboré ainsi sur les deux épisodes de La Planète des singes, et ça se ressent à l’écran, je pense. Au début de la production, je fais toujours ce qu’on appelle des « mood boards », qui rassemblent de nombreuses images servant d’inspiration au visuel du film. Matt et moi échangeons des images qu’on aime… Le production design fait donc partie intégrante du processus d’écriture.

    Matt est vraiment le propriétaire de chaque centimètre carré de son cinémascope. C’est lui qui prend toutes les décisions et crée cet univers à partir de zéro. Quand on a commencé à tourner, toute l’équipe s’est mise au service de ses idées et s’est assurée que sa vision soit retranscrite à l’écran de la façon la plus cohérente.

    Un projet comme The Batman est forcément très intimidant pour un production designer.

    Oui, il y a eu tellement d’itérations différentes, tellement de comics, c’est presque décourageant d’essayer de trouver des espaces nouveaux à montrer dans un film comme celui-ci. C’était tout de même notre ambition première : nous voulions, tout en restant fidèles à cet univers, raconter une nouvelle histoire en nous appuyant Sur une imagerie à la fois familière et novatrice. Toutes nos conversations étaient centrées autour de ça. La voiture a été un élément clé. On a pu voir des Batmobiles très différentes au fil des années, et nous avons donc commencé par elle. Le look du film est vraiment né de celui de la Batmobile.

    C’était déjà le cas avec Burton et Nolan , qui s’appuyaient respectivement sur la Batmobile d’ Anton Furst ou le Tumbler de Nathan Crowley . La Batmobile est profondément liée au look de Batman, et tout l’environnement doit lui correspondre.

    Absolument et au-delà de ça, la voiture était vraiment un bon élément de départ, car elle nous a permis d’éliminer plein de choses. On a fait en sorte que la voiture reflète au mieux Bruce Wayne et sa trajectoire dramatique, en tant que personnage et super-héros.

    Votre Batmobile ressemble à un visage.

    On s’est beaucoup inspirés de la cagoule, effectivement. J’aime particulièrement l’angle du dessus, qui reflète le visage de Batman. Et en même temps, on voulait vraiment que ce soit une vraie voiture, et non un tank ou une machine militaire ultra perfectionnée. C’est un véhicule fabriqué à la main par Bruce Wayne, on le voit travailler dessus. Ce choix s’est retrouvé dans le costume et dans les accessoires : on voulait que tout reflète l’univers de Batman et que le visuel soit intimidant, car le personnage veut susciter la peur chez les criminels.

    Ce n’est pas un énorme véhicule comme par le passé. Elle est puissante, mais pas disproportionnée. Elle ressemble en cela à Robert Pattinson , qui n’a pas la musculature de Captain America. Il a un physique très différent des standards hollywoodiens.

    À cette étape de son parcours, Bruce présente une certaine vulnérabilité, à la fois en tant que super-héros et en tant que personne publique. Il n’en est qu’au début. La physicalité de Robert Pattinson a été déterminante. On le voit dans le costume, dont beaucoup de pièces ont été visiblement cousues main. Ce Batman n’est pas invincible, il essaie juste de faire de son mieux comme Citoyen de Gotham : il veut chasser les démons de la ville et résoudre des problèmes comme le ferait « le plus grand détective de tous les temps ?. J’adore cette vulnérabilité, et je voulais qu’elle se retrouve dans le design de la voiture.

    On voit bien dans les scènes d’action que chaque geste ou chaque action pourrait le tuer. Avant de sauter en wingsuit, il sait qu’il va probablement mourir. Résultat, le public en est lui aussi convaincu. On ressent ça également dans la poursuite en voiture sur l’autoroute. il est au volant d’une voiture trop puissante pour lui.

    C’était tellement excitant de voir se construire cette séquence de poursuite. C’est la première fois depuis longtemps qu’on voit une vraie Batmobile lancée à vive allure dans des cascades en direct. L’équipe qui a fabriqué la voiture a fait un travail incroyable, Elle a réalisé absolument tout ce que vous voyez à l’écran !

    Ça se voit.

    Et quelle conception incroyable ! Ils en ont fabriqué quatre. Matt tenait dès le départ à ce que la voiture puisse être utilisée en conditions réelles, et qu’elle soit capable de réaliser toutes les cascades. Le design ne devait pas limiter ses performances. On a d’ailleurs été très méthodiques du point de vue du design, car Bruce n’est pas intéressé par l’idée de créer un véhicule super élégant. Il veut être capable de poursuivre ses ennemis avant tout.

    Cela guide tous ses choix, notamment celui d’installer une armature en acier trempé à travers toute la voiture. Une fois lancée, la Batmobile ne peut être arrêtée, elle peut même traverser des obstacles. On s’est donc dit : « Si j’étais Bruce Wayne, quels choix ferais-je ? ». Il y a donc des pièces provenant de différentes voitures, et le look global ne fait jamais preuve d’exubérance. C’est juste un outil surpuissant.

    Il a aussi une moto.

    Oui, et la première fois qu’on voit le personnage, C’est une sorte de silhouette errante qui se déplace en deux-roues. Pour nous, il était important d’établir Bruce Wayne comme un fétichiste de la mécanique automobile et un passionné de la culture moto. Bruce Wayne est au volant de véhicules différents la nuit et le jour, mais il y a une connexion sous-jacente. Par exemple, il conduit une Corvette le jour, et on s’est demandé comment ce choix affecterait le design de la Batmobile. Pareil pour la moto : il pilote une Cafe Racer le jour, donc le deux-roues de Batman ne devait pas en être trop éloigné.

    Quand il arrive aux funérailles dans sa Corvette, on a vraiment l’impression que le véhicule est une version « Bruce Wayne » de la Batmobile. Tout comme le héros, le véhicule a droit à son alter ego. Cela sert parfaitement le thème du double qui imprègne la mise en scène et l’intrigue.

    Je suis content que vous l’ayez remarqué, parce que c’était primordial pour nous ! On devait sentir son sens esthétique dans tous ses choix.

    Le costume de Batman est assez incroyable. Matt Reeves filme le personnage comme une force inévitable, qui avance envers et contre tout, souvent dans un ralenti extrême. Il peut se montrer rapide lors des combats, mais c’est globalement une créature lente, qui se dirige vers les criminels avec l’aplomb d’un croquemitaine. Le costume appuie parfaitement cette idée.

    Ce que j’adore avec le costume, c’est qu’il a été utilisé en conditions réelles dans absolument toutes les situations. C’est la première fois que Batman peut tourner la tête, et Robert Pattinson se battait vraiment dans son costume. Il y a eu très peu de retouches numériques. Robert a fait un travail incroyable avec les restrictions qu’il avait à gérer, mais de base, le costume était déjà très efficace. Il comporte du vrai cuir cousu à la main, des éléments en acier rappelant la Batmobile… Le costume et la voiture sont visuellement très compatibles.

    On voit enfin le maquillage noir autour des yeux de Batman. C’est quelque chose qui a toujours été utilisé dans la série, mais les réalisateurs préféraient tricher plutôt que de s’en servir. Même dans Batman, le défi, lorsque Michael Keaton arrache sa cagoule à la fin face à Catwoman, on peut voir un faux raccord, le maquillage disparaissant soudainement. Ici, cela devient une composante à part entière du personnage.

    Moi aussi j’adore ces moments où l’on voit les yeux maquillés de Bruce Wayne. Globalement, à moins d’avoir une bonne raison de ne pas prendre en considération certaines contraintes liées à un costume tel que celui de Batman, on a essayé de les intégrer au visuel et au récit. Si un homme faisait ça pour de vrai, il serait obligé de se maquiller le contour des yeux. Ça fait partie de son attirail, et ça l’aide à disparaître dans l’ombre. C’est une vraie fonction, pas juste de la décoration.

    Ce détail rappelle beaucoup The Crow , dont on retrouve la mélancolie dans le personnage de Bruce Wayne.

    J’adore The Crow. Il y a un aspect très goth dans la mythologie de Batman, donc c’est cohérent. C’est une coïncidence heureuse à mon avis, car je ne pense pas que Matt voulait forcément souligner cette parenté. C’est né du processus narratif, de la manière dont il a écrit le personnage et dont il a travaillé avec Robert.

    Bruce Wayne vit cette fois-ci dans une tour gothique au milieu de la ville. C’est une approche très différente du célèbre manoir des Wayne…

    Pour être honnête, on en a parlé dès le départ avec Matt. J’ai toujours été gêné par l’idée que Wayne vive dans une maison gigantesque à l’extérieur de la ville, et qu’il s’y rende uniquement pour combattre le crime. Et ensuite, il doit repartir chez lui à plusieurs kilomètres de là ?

    Ça m’a toujours paru un peu absurde. La tour Wayne a longtemps fait partie des comics, et je voulais à tout prix la situer au milieu de la cité. Bruce a tourné le dos aux enjeux financiers de l’entreprise Wayne, il se concentre uniquement sur sa mission, et il ne fait même plus semblant de s’intéresser à son héritage boursier. La tour, pour moi, était une formidable opportunité de raconter cette histoire sous un nouvel angle.

    Pareil pour la Batcave. Il y a eu des Batcaves incroyables par le passé, mais je tenais à proposer quelque chose d’original. Je me suis souvenu d’une histoire un peu folle : sous un hôtel new-yorkais, il y a une station de métro privée et un train. Grâce à un passage secret, le Président ou n’importe quel dignitaire peut fuir les lieux et quitter La ville. J’ai toujours adoré ce concept !

    Je me suis dit qu’une station de métro oubliée sous la Wayne-Tower serait une excellente idée pour une Batcave : ça lui donnerait un accès direct à toutes les artères de la ville, il pourrait travailler discrètement sur sa voiture, sortir par n’importe quel endroit. Encore une fois, on a puisé cette idée dans la réalité, et on l’a adaptée à la mythologie des comics.

    Les intérieurs de la tour sont incroyablement gothiques. C’est presque anachronique par rapport au reste de Gotham.

    Oui et non. Matt s’est beaucoup inspiré d’une visite du Hearst Castle, et a réfléchi à ce que serait la vie d’un milliardaire reclus. On a mêlé tout ça à l’architecture des années 20 et 30 aux États-Unis, où on a vu beaucoup de pastiches du style gothique. On a beaucoup joué avec ces formes, et on les a poussées au maximum avec la Wayne Tower.

    En voyant The Batman , on pense beaucoup à Se7en de David Fincher, Le Solitaire, Heat et Collatéral de Michael Mann … Avez-vous parlé de ces films avec Matt Reeves ? Car vous avez clairement créé un thriller, et non un film de super-héros.

    « Le plus grand détective au monde » : voilà ce que Matt voulait mettre en scène. Il ne voulait pas limiter Batman à une force implacable, il voulait qu’on le voie comme un personnage intelligent capable de résoudre les plus grandes énigmes. Matt a tissé une toile incroyablement complexe autour de son héros, le récit est d’une densité folle, je trouve le résultat incroyable !

    Et tout ça est fait au milieu d’un vrai film d’action. Donc oui, je pense qu’il a clairement été inspiré par les films que vous avez cités. La texture et le ton de Se7en nous ont à l’évidence tous affectés. C’est un honneur d’être comparé à une œuvre si iconique.

    Matt Reeves utilise beaucoup de plongées zénithales : durant les funérailles, dans la tour de Bruce Wayne, dans l’appartement à la fin, durant l’inondation… Cela a dû affecter votre manière de concevoir les décors.

    Très certainement dans la tour de Bruce Wayne, lorsqu’il examine tous les indices. Matt nous a dit très tôt qu’il allait filmer la scène de cette manière.

    – Propos recueillis par Alexandre PONCET.
    – Merci à Carole CHOMAND

    SOURCE: Mad Movies

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    Responsables des magnifiques images de Laisse moi entrer de Matt Reeves en 2010, le directeur de la photographie australien Greig Fraser a conquis Hollywood avec des films comme Zero Dark Thirty, Foxcatcher, Rogue One: A Star Wars Story et Vice. Alors qu’il s’apprête à repartir sur Arrakis avec Denis Villeneuve pour Dune: Part Two, il nous explique comment Matt Reeves et lui ont façonné l’univers visuel de The Batman.

    Quelle a été votre réaction lorsque Matt Reeves vous a offert de travailler sur The Batman ? Êtes-vous un fan du personnage ?

    Oui, depuis très longtemps. Mais l’histoire derrière le film est peut-être plus compliquée que vous ne le pensez. Matt est passé par tout un processus avant de faire The Batman. Je le connais depuis des années, nous sommes de très bons amis et nous sommes tout le temps en contact. Déjà durant la postproduction de son second La Planète des singes, il me parlait de The Batman.

    On a donc commencé à se pencher très tôt sur le sujet. Nous nous sommes mis à échanger sur les aspects du personnage que nous aimerions voir à l’écran et qui n’avaient pas ou peu été employés jusqu’alors. Et pendant que nous travaillions sur d’autres projets, nous ne cessions de développer des idées autour de The Batman.

    Le processus a été très « interactif », entre Matt et moi. Je lui parlais des avancées technologiques, de la façon dont il pourrait utiliser telle technique pour tourner telle scène… Du coup, quand il a été question pour lui de rassembler son équipe une fois les choses officiellement annoncées, je n’avais pas la surprise d’être engagé : je travaillais déjà dessus avec lui depuis longtemps. J’étais plutôt excité à l’idée qu’enfin, nous allions pouvoir nous mettre au travail.

    On trouve dans votre filmographie des films qui ont marqué par leur réalisme âpre, comme Cogan - Killing Them Softly, Zero Dark Thirty. Même Rogue One: A Star Wars Story et Dune approchent leur univers science-fictionnel avec un certain naturalisme. Pensez-vous que The Batman a d’une façon ou d’une autre bénéficié de ces expériences ?

    C’est drôle parce que l’année dernière, j’ai fait un Q&A avec des étudiants, et ils m’ont posé des questions sur mon « style ». Et j’ai répondu que j’espérais ne pas en avoir un, et que si c’était le cas, j’aimerais bien qu’ils le définissent. Car je n’aime pas vraiment l’idée que les gens puissent se dire que j’ai un style précis.

    Et l’un des étudiants a répondu : « Votre style est naturaliste. ». Exactement ce que vous venez de dire. Et en fait, je suis plutôt d’accord avec cette analyse, finalement. Je suis attiré par le naturalisme du monde réel, Sur The Batman, il y avait de toute évidence l’opportunité de développer une approche du type « film noir hollywoodien old school ».

    On pouvait se permettre de revenir quelques décennies en arrière en termes de look, en nous inspirant de films qui arboraient des noirs hyper profonds et des blancs surexposés qui venaient déchirer l’image. Mais après réflexion, nous avons aussi convenu que The Batman devait être un film contemporain, qui se situe dans un monde parallèle au nôtre. Il fallait donc trouver un équilibre.

    Alors pour répondre à votre question, oui, je pense que l’expérience accumulée sur mes films précédents — y compris sur des titres qui ne se distinguent pas par une stylisation poussée, comme Lion Bright Star ou Vice, m’ont permis d’affûter mon œil et mon sens esthétique afin de pouvoir livrer des images qui semblent vraiment exister dan notre monde, des images que le public peut instinctivement comprendre ainsi apporter cette sensibilité naturaliste dans des univers de science-fiction. Ou dans celui de Batman.

    Quelle était la nature de vos échanges avec Matt Reeves durant l’écriture du script ?

    Durant nos discussions sur le genre de Batman que nous voulions voir à l’écran, nous avons rapidement étendu notre vision à l’environnement dans lequel il allait évoluer, avec ce concept que je viens de mentionner d’un monde qui serait une version alternative du nôtre. J’envoyais donc à Matt des images susceptibles de lui donner des références visuelles qui pourraient l’aider à visualiser ce monde.

    J’ai fait beaucoup de recherches, notamment sur l’aspect ténébreux de Gotham, que nous voulions mettre en avant. Mais j’ai beau aimer les univers visuels sombres, je trouve que lorsque vous regardez un film qui baigne constamment dans les ténèbres, l’expérience peut devenir pénible. Les idées que j’envoyais à Matt avaient pour but de l’aider à comprendre comment il pouvait faire un film « sombre, mais clair ».

    C’est-à-dire sombre dans son ton et ses teintes, mais assez clair pour que le public puisse scruter les ombres et y trouver des informations. C’était assez fun de définir cette balance. On a aussi pas mal évoqué les possibilités techniques qui s’offraient à nous : les décors affichés via des murs d’écrans LED, l’utilisation de caméras digitales — il avait déjà tourné ses Planète des singes en numérique, mais on voulait cette fois utiliser des capteurs plus grands et des objectifs anamorphiques à large format. On a vraiment échangé sur énormément de sujets, c’était une opportunité fantastique d’avoir le temps de se poser toutes ces questions.

    Avez-vous revu les précédents films Batman pour préparer celui-ci ? Si oui, qu’avez-vous retenu du travail de Roger Pratt pour Tim Burton et de Wally Pfister pour Christopher Nolan ?

    Jai vu tous ces films Batman, et ils sont fantastiques , Roger et Wally ont fait un boulot extraordinaire. En revanche, je ne les ai pas revus avant de faire The Batman. La seule chose que j’ai un peu étudiée, ce n’est pas la façon dont ils ont éclairé les décors -ce qu’ils ont magnifiquement fait —, mais Batman en lui-même…

    Vous savez, c’est toujours délicat quand on commence à travailler sur un film. J’essaye pour ma part d’éviter de regarder des choses qui ne m’aideront pas à façonner le look du projet. Si ça risque de me pousser vers une direction qui ne conviendra pas, je m’abstiens. Parce que j’ai l’impression que notre « cortex visuel » — je ne suis pas sûr que ça existe vraiment ! — est ainsi fait qu’il ne peut retenir qu’un nombre limité d’informations conscientes.

    J’essaye donc ne pas remplir mon cortex visuel d’images qui ne me conviennent pas à un moment précis. Les œuvres qui me semblaient le mieux correspondre au ton recherché sont celles dont Matt m’a souvent parlé, comme Klute, Chinatown, Les Hommes du président, tous ces films noirs des années 1970.

    Vous êtes-vous penché sur certains comics Batman pour concevoir la lumière du film ?

    Aucun titre précis non. Mais du coup, je reviens au concept dont je parlais, qui est d’absorber seulement les informations visuelles les plus pertinentes. Je me suis très consciemment inspiré des certaines tendances globales issues des comics, car j’en ai lus pas mal dans ma vie. Je ne dirais pas que j’ai une mémoire photographique - en tout cas, mes profs au lycée vous confirmeraient que ce n’est pas le cas (rires) -, mais j’ai une certaine facilité à retenir le ton émotionnel d’une image, et à comprendre comment cette image projette cette émotion.

    Du coup, les comics Batman que j’ai lus dans ma vie m’ont beaucoup inspiré pour appréhender le look global des images du film. L’une des grandes qualités des comics, c’est leur capacité à faire immédiatement converger votre regard au bon endroit, à travers la couleur, les contrastes. Peu de réalisateurs ont une capacité similaire.

    Le look des films des 70’s qui ont influencé The Batman se caractérise bien sûr par l’utilisation de la pellicule. Paradoxalement, The Batman est le premier film de la franchise à être entièrement filmé en numérique. Quel a été votre processus créatif pour essayer de retrouver un cachet caractéristique du support analogique ?

    C’est intéressant, parce que le débat pellicule contre numérique peut parfois prendre des proportions tellement dramatiques ! Chaque camp a ses arguments. C’est un peu comme supporter une équipe de foot, et discuter inlassablement du mérite de chaque joueur…

    Pour The Batman, nous ne voulions pas spécifiquement un film sombre et granuleux, avec un look proche de l’argentique. Ce n’était pas notre intention. Ce que nous voulions, c’était retrouver le genre de sensations que vous éprouvez quand vous regardez Le Parrain, ou Klute.

    Il se trouve que ces films ont été shootés en pellicule. Mais s’ils avaient été tournés aujourd’hui, peut être que leurs chef-op’ auraient utilisé des caméras numériques. Qui sait ? La seule chose importante, c’est ce que dégagent les images. Quand on tourne en numérique, si le rendu est trop précis, trop clair, je trouve qu’on perd la magie qu’apportait la douceur de la pellicule.

    Mais on pourrait en débattre des heures, car d’aucuns pourraient vous répondre que la disparition de cette « douceur » est précisément l’un des grands atouts du numérique. Mais le sujet se focalise trop souvent sur le look des images. Alors que la seule chose qui compte, c’est l’émotion qui s’en dégage. C’est pour ça que j’adore travailler avec Matt, car cette question est toujours au centre de ses réflexions. Aujourd’hui, il existe plein de façons de tricher pour retrouver l’aspect de la pellicule. Mais pour moi, ça ne fonctionne jamais vraiment.

    Les ténèbres sont un élément visuel primordiale pour le personnage de Batman, encore plus dans le cas du long-métrage de Matt Reeves, qui s’inscrit dans la tradition du film noir. Comment avez-vous manié les contrastes pour modeler la psychologie des personnages ?

    Dans ce domaine, Batman est un personnage très intéressant. Durant une interview, Robert Pattinson a dit que nous avions beaucoup réfléchi à la façon dont nous allions éclairer le costume et le masque. Et c’était en effet un point de discussion crucial. Dans l’absolu, sa silhouette devrait être d’un noir uniforme, au sein duquel on ne pourrait pas voir de détails.

    C’est comme ça que les comics l’ont souvent montré. Mais avec une caméra, ce concept ne fonctionne pas. Quand vous braquez votre objectif sur quelque chose, vous captez forcément des détails, des textures. Il fallait trouver le bon équilibre : ne pas éclairer au point où on voit tout, mais juste assez pour que vous sachiez qu’il y a quelque chose dans cette masse noire. Et puis, il ne faut jamais oublier que derrière ce masque, il y a Robert Pattinson.

    On veut que le spectateur le ressente, voie ses yeux, pour comprendre les émotions qui l’habitent lorsqu’il est dans ce costume. C’est très dur pour un acteur : son visage est presque entièrement recouvert, et tout doit passer par ses yeux. Hors de question, donc, de le priver de son outil le plus précieux pour ces séquences. Le tout était donc de montrer la noirceur qui nimbe le personnage, mais d’avoir assez de lumière pour qu’on puisse ressentir ses émotions.

    La façon dont vous gérez l’intensité de vos contrastes dans The Batman rappelle le procédé ENR (un traitement chimique de la pellicule qui permet d’obtenir des images très contrastées aux couleurs désaturées - NDR) initialement conçu pour Vittorio Storaro par Technicolor. Darius Khondji a perfectionné cette technique et l’a beaucoup utilisée, notamment sur Se7en. Aviez-vous son travail en tête lors du tournage de The Batman ?

    Darius est un maître, et son travail est tout simplement incroyable. Mais sur The Batman, il n’a pas vraiment été une référence directe. Ce que je veux dire, que durant ma préparation, je ne me suis pas assis dans un canapé pour revoir tous les films sur lesquels il a œuvré. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que dans ma vie, j’ai vu tous les films sur lesquels il a œuvré ! (rires)

    Quand j’étais étudiant en cinéma, j’ai étudié très attentivement son travail, notamment pour comprendre ce qu’il cherchait à faire avec l’ENR. Le truc avec la pellicule, c’est qu’elle n’apportait pas naturellement le niveau de contraste que Darius voulait obtenir. Mais quand vous shootez en numérique, vous avez la possibilité de jouer avec les contrastes, de les pousser au-delà de ce que le celluloïd pouvait capturer, afin de retrouver le type de sensations que Darius arrivait à susciter avec l’ENR. Et c’est un outil merveilleux à utiliser pour raconter une histoire.

    Vous avez éclairé plusieurs épisodes de la série The Mandalorian, dont vous êtes également producteur. Ce show utilise la technologie des décors affichés directement sur des murs d’écrans LED, que vous avez également employée sur The Batman. Votre approche de la lumière est-elle la même lorsque vous travaillez avec ce type d’environnement virtuel, par rapport à un décor classique ?

    Ma philosophie est rigoureusement identique dans les deux cas. Le danger serait justement de se dire qu’il faut changer d’approche parce que la nature de la technologie est différente. Je ne fonctionne pas comme ça. L’une des raisons pour lesquelles je me suis impliqué dans The Mandalorian - au-delà de mes liens d’amitié avec les gens de Lucasfilm et d’ILM et de mon amour pour cet univers -, c’était justement la possibilité qui s’offrait à moi d’étudier les perspectives dramaturgiques qu’offre cette technologie.

    Je ne vois pas ces murs d’écrans LED comme des accessoires uniquement réservés à de gros projets de science-fiction ou de fantasy. Pour moi, ils permettent de mettre l’'emphase sur le drame qui se joue à l’image. J’ai travaillé avec l’équipe de The Mandalorian pour perfectionner cet outil, afin que des brillants artistes comme Matt Reeves, Denis Villeneuve ou Kathryn Bigelow puissent l’utiliser dans la création de leurs chefs-d’œuvre. C’est en cela que j’approche cette technologie comme n’importe quel autre aspect de mon travail.

    – Propos recueillis par Laurent DUROCHE
    – Merci à Carole CHOMAND

    SOURCE: Mad movies

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    @Psyckofox

    Absolument d’accord avec toi, le premier était bof bof, le deuxième une tuerie et le troisième un cran en dessous.

    Je l’ai vite oublié cette trilogie mis à part le 2ème opus pour les mêmes raisons que toi.